Elle se nomme Awa TINE. Depuis plusieurs années, elle se bat autour de la question du manque criard d’eau dans la localité de Notto Jobaas. Activiste, féministe militante des droits humains, membre de la plateforme citoyenne « Les Sentinelles du Jobaas », Awa s’est distinguée partout par le plaidoyer qu’elle de cesse de porter pour faire entendre les souffrances de Jobass. Sur les réseaux sociaux, à travers des pancartes lors des marches de contestations et récemment au forum mondial de l’eau, partout, elle est présente avec en bandoulière une seule et unique revendication, l’accès à l’eau aux populations de tout le Notto Jobass, Dioungane en particulier.
Pour toujours vulgariser sa noble cause, Awa s’est prêter aux questions de nos confrères du Magazine Dynamics
Présentez votre localité ?
Ma localité s’appelle Notto Diobass. Une commune rurale du département de Thiès, à la périphérie de la même ville. Elle polarise 67 villages avec environ 40.000 habitants.
Une localité qui manque d’eau, pouvez-vous nous faire la situation ?
La commune de Notto Diobass est confrontée à un manque criard d’eau cette dernière décennie. Ce problème qui ne date donc pas d’aujourd’hui, a pris une ampleur considérable au cours des cinq dernières années à cause surtout d’une baisse drastique de la nappe en cela que deux grands pôles de forages qui desservent d’autres localités au détriment de la population locale sont implantés dans le terroir.
Le premier qui constitue le Projet Notto Ndiosmone-Palmarain (NDP) polarise 06 grands ouvrages hydrauliques dans le champ captant de Tassette. Ces forages desservent le secteur de Fatick jusqu’au cœur des îles du Saloum. Le deuxième pôle dans le champ captant de Palam Thioyane, en plein Notto Jobaas, polarise 10 grands forages dans le cadre du Programme Eau et Assainissement en Milieu Urbain (PEAMU). Ces forages financés par la Banque mondiale pour un coût estimé à 100 millions de dollars, d’un débit de 30.000 m3/jour, desservent une bonne partie de Dakar, de la zone touristique de la Petite-Côte et visent aussi à desservir incessamment la zone aéroportuaire de Diass et le Pôle urbain de Diamniadio. Le paradoxe doublé d’une absurdité est que tous les deux pôles (NDP et PEAMU) ne desservent jusqu’ici pas la zone du Jobaas où la pénurie d’eau sévit en toute dureté alors que la nappe y a considérablement baissée en raison de la surexploitation dans le cadre du PEAMU, occasionnant un arrêt systématique de la plupart des forages anciens qui assurent la desserte dans la zone et un tarissement généralisé des puits. Cette situation a installé dans ladite zone une pénurie d’une profondeur inqualifiable, précarisant ainsi le quotidien des populations, jusqu’ici laissées à elles-mêmes. Il s’agit là d’une injustice d’une rare aberration qui s’apparente à un crime contre l’humanité. Les populations du Jobaas sont extrêmement fatiguées et exigent de l’Etat du Sénégal la réparation de ce préjudice avant que le pire ne se produise. On ne peut continuer à vivre le manque d’eau alors notre sous-sol ravitaille d’autres sénégalais, citoyens au même titre que les populations du Jobaas. Si ça persiste, nous envisagerons des mesures radicales à la hauteur du préjudice.
Quelles sont aujourd’hui les conséquences de ce manque d’eau chez les populations ?
Les conséquences sont énormes, multiples et constatables dans tous les segments de la vie active. Elles affectent durement les conditions de vie qui sont devenues extrêmement précaires dans la zone en question. Les populations sont donc exposées à tous les périls et toutes les activités qui sont en rapport avec l’eau sont au ralenti. De plus, cette situation installe chez ces dernières un profond mal vivre ou malaise existentiel puisqu’on ne peut pas parler d’épanouissement sans eau ni de vie sans eau. Par ailleurs, cette pénurie ouvre la voie à toutes sortes de maladies sans compter le calvaire des populations qui ont perdu tout repos a fortiori les femmes qui sont les plus affectées par ce manque d’eau. Elles ne dorment plus la nuit, elles font des kilomètres à la recherche de ce liquide précieux aux puits sous le froid ou la chaleur mais aussi les enfants (filles comme garçons) qui sont engagés dans les difficiles corvées d’eau au point de ne plus pouvoir s’occuper correctement de leurs études.
Quelles sont les activités que vous menez pour régler cette situation ?
Face à cette situation, nous avons dans un premier temps pris langue avec le sous-préfet, en septembre 2019, à travers un large entretien au sortir duquel, nous avions déposé un mémorandum sur sa table avec ampliation. Dans la même dynamique, nous avions adressé au maire une correspondance en vue de le rencontrer pour une concertation autour de la question, ce qu’il n’a pas daigné nous accorder. Nous avons aussi rencontré le 30 novembre 2019, l’association des chefs de villages de la commune à travers une séance de travail dans le but d’harmoniser des actions face au problème mais ces derniers ont failli sur toute la ligne, ne suivant pas la dynamique, ce qu’ils n’ont jusqu’ici pas justifié.
Nous avons à plusieurs reprises envoyé des correspondances au ministre Serigne Mbaye THIAM que nous peinons encore à rencontrer et avons, par deux fois, eu des entrevues avec la direction de l’OFOR, respectivement le 12 mars 2020 sous Seny NDAO et le 28 mai 2021 sous Alpha Bayla GUEYE, actuel DG.
Aussi, dans le cadre de la citoyenneté participative, nous nous attelons à apporter tant soit peu, notre soutien financier à certains villages, les plus touchés, pour les secourir dans l’achat de citernes d’eau à l’exemple du village de Thieo. Nous avons aussi contribué en 2020 à la redynamisation du forage de Mbomboye à hauteur de 200 litres de gasoil.
Par ailleurs, nous avons depuis début 2020, multiplié les sorties dans la presse pour mieux dénoncer cette injustice. Nous avons aussi organisé des visites de terrain (Hanène, Palam Thioyane, Thieo), soldées par des points de presse, pour davantage nous enquérir de l’ampleur du problème, recueillir l’avis des populations à propos des difficultés et les sensibiliser à rester debout pour ensemble combattre cette injustice.
Le 15 février 2020, nous avions organisé une très grande manifestation dénommée « Grande offensive contre la pénurie d’eau au Jobaas » avec la participation de la presque totalité de la presse nationale (radios, télés, presse écrite, sites internet, etc.).
Nous avons également participé au dernier Forum Alternatif Mondial de l’Eau (FAME) et nous avons profité du contexte du Forum Mondial de l’Eau (FME) pour mieux exposer la cause du Jobaas au monde entier à travers la presse, sur le terrain et dans les panels organisés au CICES dans le cadre du FAME. Nous avons pu réussir à se frayer une très large ouverture au niveau des organisations de la société civile, des mouvements citoyens et autres organisations non gouvernementales, à l’exemple du Forum Civile, la POSCEAS (Plateforme de la Société Civile pour l’Eau et l’Assainissement), le Frapp, l’ONG Gret Sénégal, qui se battent tous pour la justice sociale. Dernièrement nous avons opté pour une campagne digitale à travers les médias sociaux pour avoir plus de visibilité et permettre à la population de connaître les difficultés que vivent les populations de Jobaas et pousser les autorités à réagir.
Qu’en est-il des autorités locales et gouvernementales?
Dernièrement nous avons opté pour une large campagne digitale dans le sens de mieux vulgariser le problème, d’imprégner l’opinion des difficultés auxquelles sont confrontées les populations du Jobass et par ricochet stimuler une réaction de la part des autorités.
Êtes-vous prêts à vous engager au-delà de votre activisme à d’autres fins pour résoudre le problème, la politique par exemple ?
Nous avons choisi de nous battre dans le cadre d’une citoyenneté active et participative sous la bannière de la société civile. Jusqu’ici, nous n’envisageons pas de passer par le chemin de la politique et ne pensons pas qu’il doit être un passage obligé pour accéder à des droits qui dépendent des responsabilités régaliennes de l’Etat. Il faut aussi briser cette forme de mentalité qui consiste à faire croire que sans la politique, le citoyen ne peut pas accéder à certains de ses droits fondamentaux.
